Lettre à moi-même à lire à ma prochaine dépression

Lettre à moi-même à lire à ma prochaine dépression

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Salut Laurence, t’as 28 ans et cela t’aura pris autant d’années pour être capable d’accepter le fait que tu vis avec plusieurs maladies mentales.

Dès ton plus jeune âge, tu vis avec des symptômes reliés à la maladie mentale. Un simple changement déco dans la maison de tes parents t’amène sur le bord de la crise de nerfs. Des maux de ventre t’empoignent à la seule idée d’aller souper chez ta tante pour le réveillon et quand arrive l’heure de la sieste, l’écoute de musique classique pour te détendre te chamboule à un point tel que tu pleures en boule, émue.

Tu as 5 ans.

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Tu n’es pas capable de nommer ce que tu ressens, ta famille non plus d’ailleurs. Oh, ce n’est pas que la maladie mentale ne fait pas partie de ta vie. Plusieurs membres de ta famille en souffrent, toujours en silence et sans aucun mot pour nommer ces maux étranges dont personne ne parle.

Mais même si ta vie est dans le non-dit, la maladie mentale est bien là. Elle taraude ta jeune vie d’enfant parfaite, élevée dans un 450 bordé de ouate. Tout ce que tu veux, c’est que tes parents soient fiers de toi. Tu n’as aucune raison de te plaindre, tu as tout pour réussir.

Je ne veux pas être folle

Cette phrase devenue mantra, tu vas constamment te la redire. À un point tel que tu vas devenir une experte pour arriver à contrôler ces vagues immenses d’émotions et d’incompréhension qui s’acharnent sur toi. Tu vas te demander pourquoi les autres sont capables de vivre une vie normale. Et pourquoi eux, gens normaux, sont aptes à vivre avec l’impact de leurs actions sur la vie des autres alors que toi, dès que tu lèves le petit doigt, tu es submergée par la peur, la crainte et l’anticipation de décevoir ceux qui t’entourent et t’aiment.

Tu as 15 ans.

Tu arrives à faire ton secondaire en jouant de stratégies et de ruse pour cacher le bouillonnement de tes émotions. Ta personnalité extravertie en charme plus d’un et rassure tes parents et tes amis. Une sorte de mécanisme de défense qui t’a sauvé jusque-là.

C’est qui la meilleure? C’est Laurence.

C’est au Cégep que tu vivras ton premier épisode dépressif. La Laurence qui ne veut pas déplaire arrivera à se faire admettre à Brébeuf, avec l’élite de la jeunesse. Enseignement noble, vie sociale active, indépendance souhaitée – voilà le rêve que portait ta famille pour toi.

Alors que toi, terré tel un animal blessé, tu fermes les rideaux de ton appart montréalais pour t’enliser dans une boue dense, où la lumière disparaît. Tu n’iras plus à tes cours, tu dormiras 20 heures par jour. Tu te demandes comment tu t’es rendue là. Ça fait 10 ans que tu compartimentes ce que tu vis en dedans pour arriver à fonctionner. Pourquoi tout flanche maintenant?

Mets-toi un sourire dans la face et botte-toi le cul!

Tu as été élevée comme ça. Quand on veut, on peut. En plus, tu n’as rien pour chialer. Tu es la plus privilégiée, ta famille compte sur toi. Mais au fond, tu sais que la vie que tu mènes n’est pas faite pour toi. Physiquement, la maladie mentale te rattrape. Ton hypersomnie est rendu incontrôlable. Tu hyperventiles à l’idée de sortir de chez toi. Ton corps se mets en shutdown pour éviter de penser au pire. Tu dors pour oublier. Tu dors pour arrêter de penser. Tu dors pour ne plus être toi.

Mais au lieu d’adresser ta santé mentale, tu prends le pari de passer pour une enfant gâtée devant ton père et tu lui annonces : je n’aime pas Brébeuf. J’arrête.

De toute manière, tu coules tous tes cours. Tu finis par te dire qu’un changement d’environnement va te faire du bien. De retour chez tes parents, ce n’est pas la joie. Et là, il est plus difficile de cacher ce que tu vis. Même si tu as changé de Cégep, tu restes toujours cette loque humaine qui ne réussit pas à aller bien. C’est ta mère qui finalement te traînera à l’urgence de l’Hôpital du Suroît, en larmes, convaincue qu’elle a failli à son rôle de mère. À ce moment, tu es dissociée de toi-même et ta peine intérieure fait de la peine aux autres. Et ce fait t’incombe plus que ta propre peine. Là, tu t’enlises dans la honte d’être incapable d’être la fille que tes parents méritent.

Je ne peux pas être folle

Les diagnostics tombent et ce qui te reste de fierté avec. Hypersensibilité, anxiété généralisée, TDAH, dépression. Tu te perçois comme un fardeau qui doit être pris en charge. Tu te vois sortir de la pharmacie avec ton p’tit pot de pilules.


17 ans, médicamentée – une vraie championne

L’effet de la médication se fait sentir, tu prends conscience de certaines choses et surtout, tu veux obtenir des résultats. La psy te parle d’espacer tes rendez-vous, tu crois être capable de gérer le tout parce qu’au fond, tu le sais que tu en es capable. Tu le fais depuis que tu es toute petite. La maladie mentale, moi? Mais non, j’étais un peu fatiguée, mais maintenant, je vais bien. Une vie facile m’attend maintenant.

Le pire, c’est que tu y as cru. Vraiment.

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1 an plus tard, toujours pas de diplôme en vue, tu frappes un nouveau mur. Ton deuxième épisode, comme tu l’appelles. Tu vis une anxiété qui paralyse. Tu n’arrives plus à quitter ton lit. Tu es épuisée comme si tu avais gravi une montagne quand, réellement, tu as seulement lavé tes cheveux….une première cette semaine. Cette paralysie t’empêchera de fonctionner. Tu es gelée dans le temps. Et maintenant, on aborde avec toi l’idée de te médicamenter pour la vie. Ta maladie mentale s’accroche et ne te quittera plus.

Le trouble rentre maintenant dans ta vie. Qui troublera toute ta vie.

Depuis ce temps, il y a eu un troisième épisode. En pleine pandémie. Mais cette fois-ci, tu ne t’es pas laissé glisser autant. Tu as su capter les signaux de ton corps et entamer une thérapie qui te permettra de tenir ta maladie mentale par la main. Tu es malade et tu le sais. Et, une première pour toi, tu ne fais pas cette démarche pour les autres. Tu le fais pour aller mieux. Tu ne cherches plus la voie rapide afin d’obtenir des preuves que tu vas bien. Maintenant, tu dois apprendre à vivre avec ta maladie mentale.

Elle fait partie de toi.

Tu comprends que santé mentale et santé physique sont indissociables. La maladie mentale a des symptômes physiques – la maladie physique impacte la santé mentale. Un équilibre précaire parfois mal compris. Tu vis tes projets un à la fois, en essayant d’avoir du fun dans le moment présent.

Chaque chapitre de ta vie fait ton histoire. Un seul et même livre, écrit par toi.

Tu comprends mieux ce qui occasionne chez toi des crises d’anxiété et tu évites de t’exposer aux nouvelles négatives (#conférencedepressede17h). Et surtout, tu essaies de panser tes plaies et de reconstruire les ponts avec ceux qui t’ont toujours aimé et que tu n’as jamais, vraiment, déçu.

xxx

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P.S. : Si au lieu d’avoir un cours d’éducation physique (ça sert à qui de savoir comment jouer au ballon-chasseur, hein?) tu avais eu un cours d’éducation santé (physique et mentale), ta vie aurait été complètement différente. Mets à ton agenda de débuter du lobbying à ce propos ;)
P.P.S. À tous ceux qui lisent mon histoire, sachez que ça n’a pas été facile pour moi de me livrer ici aujourd’hui. Débarrassons-nous de la gêne d’en parler. La santé, c’est la santé. Point.